Méthode

GESTUELLE ET ACUPUNCTURE

Présentation

Quand il s’agit d’acupuncture, il s’agit de toucher un point qu’on espère essentiel, c’est-à-dire adapté exactement au bon moment afin de permettre à un individu de retrouver son/ses « énergie(s) » et qui ouvre des possibilités de transformation progressive. J’appellerai cela « toucher essentiellement le point » ou « un travail essentiel. »
En revanche, il n’est pas obligatoire d’aller à l’essentiel de l’individu, mais de cheminer, d’accompagner celui-ci vers son essentiel, c’est-à-dire vivre pleinement, se réaliser pleinement. Cet espoir, cette façon souhaitée de travailler peut donc se différencier de l’utilisation des points d’acupuncture pour le traitement d’un symptôme identifié avec des recettes désignées par la tradition ou par une réflexion analytique.
Comment toucher ce point directement ? Autre question parallèle : Comment les anciens ont-ils pu avoir l’intuition de l’action sur un point ?

J’avance l’hypothèse qu’il s’agit avant tout d’un processus d’empathie qui repère directement de soi à l’autre, par un ressenti intérieur, la fragilité d’un lieu. Cela peut se réaliser par une conscience profonde qui permet de toucher le point directement. Ceci est probablement exceptionnel. L’utilisation d’un contexte référentiel aide beaucoup l’observation : par exemple, l’observation du geste dans un contexte comme le taijiquan peut faire ressortir des incapacités à le réaliser ; il peut aussi s’agir de postures référentielles lors d’un travail spirituel Taoïste ou Chan (on le verra avec les méridiens curieux), d’une méditation pour élargir le ressenti du thérapeute (qui est alors bien plus qu’un thérapeute.)

Je vous propose d’utiliser un ensemble référentiel de gestes ou de postures qui permettent de mettre en évidence des anomalies de l’organisation corporelle dynamique, statique, respiratoire, et d’intervenir le plus globalement possible.

La methode

Ce que je propose, c’est d’utiliser un ensemble référentiel de gestes contre résistance tiré de la méthode de Kabat, qui consiste à utiliser des patterns of motions repérés dans la gestuelle par cinématographie, travail de Kabat, physiologiste américain d’avant-guerre. Il montre qu’il y a des chemins du mouvement incontournables pour faire un geste précis compte tenu de notre anatomie et de la physiologie neuro-musculaire. Il a construit, avec ses collaborateurs, une méthodologie qui consiste en une confrontation dans le geste afin de remodeler les gestes anormaux. Ceci peut aboutir au repérage d’anomalies de ces mouvements de base qui sont ancrés dans notre comportement. Une force opposée en un lieu complémentaire peut corriger la trajectoire. L’expérience montre que ces lieux de correction de trajectoire correspondent idéalement à des points d’acupuncture et que la symptomatologie de ces points, écrite dans les traités, correspond étrangement à celle dont se plaint le patient et même lui révèle quelquefois des aspects de ses ennuis qu’il n’avait pas perçus.

La particularité des diagonales de Kabat c’est d’être très précises car elles sont orientées dans l’espace d’une manière stable. La stabilité c’est d’avoir une direction précise et d’orienter tous les axes d’une façon claire ; c’est-à-dire que l’on va de haut en bas ou de bas en haut, de l’intérieur vers l’extérieur ou de l’extérieur vers l’intérieur et qu’il y a toujours une rotation, ce qui fait que le geste est toujours déterminé et stable. Ceci est très important : ainsi l’anomalie du geste est facilement repérable :

D’autre part, en opposant une résistance au point d’acupuncture correcteur, on s’aperçoit qu’en ce lieu, le mouvement peut se réorienter.
Nous pouvons considérer qu’un point d’acupuncture est un lieu d’équilibre, énergétique, mais aussi de transformation. Nous pourrions aussi appeler ce point « articulation énergétique ».

Si nous sommes bien organisés, nous aboutissons à une résistance maximale. Cette notion de résistance maximale est également un autre outil : il y a la stabilité du mouvement qui est un premier outil et la résistance maximale qui est un autre outil. La résistance maximale est l’impression de ne pas pouvoir rompre l’organisation du geste car il est très bien organisé, en particulier parce qu’il est organisé, à tous les chaînons du pied jusqu’à la main par exemple, dans des courses moyennes (la course moyenne est l’amplitude moyenne articulaire ou musculaire qui apporte le plus grand rendement pour la force mise en jeu). Si nous arrivons à organiser tout le corps sur le plan d’une course moyenne, il y a à la fois beaucoup de force et beaucoup de liberté car il y a beaucoup plus de moyens d’ajustements perpétuels et aussi beaucoup de résistance. Donc nous sommes dans les conditions maximales pour être stable.

Diagonale kabat et expression gestuelle des méridiens principaux

Que représente ici l’expression gestuelle des méridiens principaux

En médecine chinoise traditionnelle, on décrit des points particuliers sur des trajets de même résonance réactionnelle qu’on appelle « méridiens ».
Ces points ont une orientation particulière qui permet d’imaginer qu’en les tirant ensemble comme avec les fils d’une marionnette, on pourrait obtenir un mouvement.
On peut aussi observer que la contraction de cette chaine musculaire produit un mouvement identique que j’appelle « expression gestuelle spécifique de ce méridien »

Les méridiens appartiennent aux membres supérieurs et inférieurs, à la tête et au tronc et sont au nombre de 12. Ils peuvent mobiliser ainsi tout le corps dans des attitudes diverses.

Les méridiens sont dénommés en chinois par leur qualité réactionnelle qu’on peut  raporter à leur expression gestuelle.

Tae : le plus
Shao : commencement et mutation
Jue et ming : fin de cycle qui en précède un nouveau

S’y ajoute :

  • shou et zu membre supérieur et inférieurs,
  • yin expression vers la contraction, l’intériorisation
  • yang vers l’extension, l’ouverture, l’expansion.

En reliant en un même geste les expressions de même qualité aux membres supérieurs et inférieurs nous obtenons des « grands axes »

Expression des méridiens principaux

Méridiens curieux

Pour l’humain, il est impossible de séparer l’action des méridiens curieux des méridiens principaux car même si la vie ordinaire utilise les méridiens principaux il n’en est pas moins vrai que, pour chaque moment de la vie ordinaire, il faut quelque chose qui élève l’humain à sa propre nature : ce qui me semble être le méridien curieux.

Les méridiens curieux ne sont pas mis en valeur par la méthode de Kabat. Ils sont du domaine qui caractérise les attitudes de l’humain. Elles s’organisent dans divers axes :

  • autour de la verticalité. Rapport entre ciel et terre, émergence et jaillissement (yin et yang qiao, tchong mo)
  • autour de l’horizontalité : rapport au monde et placement-évitement par rapport à celui-ci yin et Yang wei, tae mo
  • présence spécifique de l’humain
  • Assise approchant le lotus incluant rotation de hanche et liberté d’une ensellure lombaire préservée par le fait que le bassin est placé au au-dessus du placement des genoux. Au plus profond de l’ensellure lombaire, on retrouve le ming men, origine de la vie pour la médecine traditionnelle chinoise.

Ces attitudes sont pratiques habituellement dans le zen : posture debout (kinhin), assise (zazen)

Expression des méridiens curieux

Utilisation des diagonales

Pour utiliser les diagonales, dans la méthode de Kabat, on propose une résistance périphérique qui entraîne le mouvement dans le sens de la diagonale. Je vous ai également expliqué qu’après 25 ans de voyage chacun de son côté, on en était arrivé, Eric Viel et moi, à appuyer sur les mêmes points pour provoquer le mouvement ; c’est-à-dire qu’au lieu d’avoir des appuis très larges comme dans la technique de Kabat, on a utilisé des appuis de plus en plus pointus et précis. A la fin, nous avons identifié ce point comme le point Yuan (ou Iu Yuan pour le méridien Yin). A partir de la sollicitation de ce point, compte-tenu d’un départ bien placé c’est-à-dire tenant compte de la diagonale de A vers B par exemple, normalement, s’il n’y a pas de pathologie particulière, vous obtenez un mouvement de A vers B.

Les facteurs repérés sont ceux que j’ai décrit comme qualité du mouvement de Kabat, c’est-à-dire : orientation précise dans tous les sens de l’espace et rotation. S’il manque une de ces caractéristiques, le mouvement n’est pas juste. D’autre part, à un moment donné, nous pouvons obtenir une résistance maximale, c’est-à-dire que nous sentons que le mouvement bien placé est indestructible. Si on n’a pas ces caractéristiques, on applique un point correcteur qui, en Kabat classique, est une main appliquée dans le sens du mouvement et qui, dans la connaissance de l’acupuncture peut être un seul point d’acupuncture.
A partir de la découverte d’un point correcteur nécessaire sur un trajet, il est possible de comparer les symptômes que décrit le patient avec les symptômes associés à ce point dans les traités d’acupuncture. L’intérêt est de voir s’il y a une certaine cohérence dans le point choisi et de juger s’il est utile de piquer ce point si la correspondance est bonne ; l’autre intérêt est que cela etabli une connaissance de plus en plus approfondie du point qui, au contraire d’être raconté de façon livresque et décrite intellectuellement, est vécue en situation.

Ce genre de démarche a l’avantage de permettre une certaine validation de l’acupuncture car vous voyez immédiatement que l’on peut, à travers les quelques travaux que j’ai déjà effectués (DIU d’acupuncture de Strasbourg en 1993), valider 2 méthodes qui ne sont pas validables en elles-mêmes mais qu’on peut apprécier pour leurs qualités intrinsèques (Kabat et acupuncture.) Personne ne dénie vraiment l’intérêt de ces 2 méthodes mais le fait de constater qu’elles se valident entre elles est une méthodologie nouvelle : on accepte de ne pas faire une démonstration en valeur absolue comme on fait en science classique mais on la fait en valeur relative et, à force d’ajouter du relatif au relatif, on va aboutir au vrai domaine de l’humain qui est toujours relatif mais qui, finalement, à force de tels recoupements va consolider la méthodologie par le nombre d’arguments réciproques.

Ce qui peut être également validant, c’est le travail d’électromyographie de surface que l’on a fait sur 3 points Shu du dos par rapport à 3 méridiens exprimés : si on fait la liaison entre l’expression des méridiens et les points Shu, il a été démontré, d’une manière tout à fait pertinente par l’électromyographie que le fait d’appuyer sur le point Shu correspondant à un méridien diminue le recrutement neuromusculaire pour obtenir le geste (c’est-à-dire permet une économie d’énergie) et harmonise l’ensemble de la musculature. D’autres points Shu qui ne correspondent pas rendent l’EMG anarchique et recrutent beaucoup plus de muscles. On prouve donc ici la relation particulière entre le point Shu d’un organe et le méridien correspondant.

Evaluation réactionnelle - Prudence

Toutes ces techniques permettent de toucher un point c’est-à-dire d’aller très vite vers l’intimité de la personne mais il convient de respecter les capacités réactionnelles du patient de façon à ne pas lui faire faire un travail au delà de ses compétences, de son énergie, des ses capacités car il faut que toute démarche qu’on aide à réaliser soit celle qui est à faire à ce moment là (c’est-à-dire pas trop vite) et qu’il a les moyens de réaliser. Comment évaluer cet aspect réactionnel ? J’ai proposé le testing musculaire applicable à toute fonction et non pas à la fonction musculaire comme on l’applique en kinésithérapie, à savoir :

Stade 1 : Presque pas de vie, de très petits mouvements. L’organisme ne peut entretenir sa vie par lui-même. Une image : Il faut mettre de l’air pour que la bûche commence à reprendre sa flamme, écarter la cendre qui entoure la brindille encore allumée. A ce stade :

  • Drainages lymphatiques
  • Ostéopathie crânienne
  • Massage des points jing
  • Moxa
  • Fleurs de prunier
  • pour ce qui est des techniques du toucher.

Stade 2 : C’est celui de la possibilité de déplacement mais avec incapacité de soulever son propre corps, c’est à dire impossibilité de prendre l’attitude du Qiao verticale qui est de dire « je suis. » C’est un stade qui manque d’animation où on peut vraiment utiliser les méridiens principaux et la technique de Kabat en travaillant en décubitus dorsal. C’est là où on va roder les mouvements, rendre à la fois des capacités énergétiques mais aussi le sens du geste c’est-à-dire la base fondamentale de déplacement et de rodage articulaire.

Stade 3 : La personne peut se verticaliser donc soutenir son propre poids. On cote 3-pour la capacité de ne se mettre qu’en position assise, 3+ quand le sujet peut se mettre debout. Nous pouvons alors utiliser la posture en Qiao de façon unipodale, sur une jambe ou sur l’autre, et repérer les points Shu du dos. Si on donne des appuis aux points Shu pour compenser le manque de verticalité, cela permet à la personne d’équilibrer les 2 ceintures, c’est-à-dire de mettre la même énergie sur la ceinture pelvienne et scapulaire. Sur les points Shu, il y a un travail à faire des 2 côtés : lombo-sacrée pour le bassin et dorsal pour soutenir la ceinture scapulaire. Ces points Shu correspondent à des méridiens principaux qu’on pourrait traiter eux-mêmes pour leur redonner l’axe juste, la direction juste et leur faire sentir progressivement le point Yuan correspondant ; de ce fait, on aurait de nouveau relié le mouvement du méridien principal au centre du mouvement au 15 VC d’où tout naît et tout revient.

Stade 4 : Stade de l’apprentissage où l’on met des résistances très fortes autour desquelles la personne doit s’organiser.

Stade 5 : Le stade dit « normal » est encore à élucider car qu’est-ce que quelqu’un de normal ? Pour ma part, je le définis comme « le handicap assumé » : je considère que chaque personne est handicapée fondamentalement (être humain est déjà handicapant). Nos préférences génétiques, notre éducation nous donnent des potentialités mais aussi des défauts donc naître implique une notion de handicap et vivre pleinement c’est assumer son handicap, c’est-à-dire faire quelque chose de notre matière humaine, quelque chose qui nous est caractéristique mais qui aide soi-même et les autres.

Questions

Comment évaluer la fonction Yuan ?

La fonction Yuan est celle du rapport du centre à la périphérie, donc qui amène la stabilité du centre d’où naît le mouvement à la périphérie, afin que le mouvement périphérique soit stable lui-même. La qualité d’un point Yuan c’est sa stabilité et le sens de la direction du mouvement puisque à partir de ce point commence à se caractériser l’expression du méridien. On peut considérer qu’avant le point Yuan, c’est-à-dire au niveau des doigts, les doigts recrutent l’énergie cosmique, la rassemble sur un point Yuan et la canalise le long du méridien pour revenir au centre. Si le point Yuan ne répond pas, je vérifie la stabilité du 15 VC ; si celui-ci n’est pas stable, j’en cherche la raison : ce peut être une raison posturale donc je mets la personne en posture et observe si le 15 VC ne s’exprime pas ou n’est pas stable lui-même ; s’il n’est pas stable les points Yuan ne peuvent pas l’être. Réciproquement, une autre façon de stabiliser un 15 VC c’est de roder tous les mouvements pour les rendre excellents et d’y ajouter, secondairement, le point Yuan qui apportera de la stabilité au centre.

Après avoir évalué un point yuan, s’il répond bien mais que le méridien ne s’exprime pas bien, est-ce qu’il faut chercher tout de suite le point Shu ou est-ce qu’il faut chercher un autre point sur le méridien.

D’une façon pragmatique, il est plus simple de chercher un point sur le méridien. Après avoir évalué qu’un méridien ne va pas, il est utile d’évaluer l’ensemble des méridiens : tous les méridiens peuvent ne pas marcher ; dans ce cas là c’est l’expression même du mouvement qui est en cause, on peut donc :

  1. Revoir le 15 VC.
  2. Revoir l’énergie en général qui peut être faible.
  3. Se demander si l’anomalie est symétrique ; dans ce cas là ce n’est pas l’affaire du méridien mais l’affaire d’un axe VC ou VG.
  4. Si j’observe qu’il y a une anomalie seulement sur un méridien ; je commence pragmatiquement à chercher un point sur ce méridien parce qu’il est facile de le trouver. S’il n’y a pas moyen de le trouver, il faut chercher le point Shu du dos correspondant. Si celui-ci améliore le mouvement, on est sur un soutien de dos qui ne va pas bien, il peut être utile d’aller voir l’organe : peut-être est-ce celui-ci qui ne va pas bien, qui fait que le point Shu n’est pas stable et donc que le mouvement n’est pas stable.